Evolution historique du jeu et des pièces
L’échiquier mais surtout les pièces vont subir un certain nombre de transformations, essentiellement lors des changements de civilisation, chaque civilisation adaptant le jeu à sa culture.
Dans le «chaturanga », l’échiquier comporte bien 64 cases comme de nos jours mais les cases sont toutes de la même couleur. L’apparition des deux couleurs de cases pour mieux visualiser les parties semble être une évolution occidentale, d’ailleurs très précoce après l’introduction du jeu. Elle est relatée dans les écrits pour la première fois vers la fin du 10ème siècle.
Dans les anciens jeux, la reine s’appelle le vizir, la tour le chariot, le fou l’éléphant. Le mot fou viendrait de l’arabe « al-fil », l’éléphant devenant « alphin » en français. En Russie, les fous s’appellent toujours les éléphants.
Les pièces des jeux arabes sont stylisées, l’islam proscrivant la représentation de la figure humaine ou animale.
Exemple de jeu figuratif : jeu provenant d’Egypte (10ème-12éme siècle. British Museum)
Autre exemple de jeu figuratif (Iran, 12ème siècle) (photo Wikipédia)
Les Occidentaux préfèreront au contraire des pièces figuratives. Le fou est la pièce qui subit le plus d’évolution. Au XIIIe siècle, l’alphin (ou alfin) prend l’équivalence du juge, assimilé à l’évêque outre-Manche.
Cette transformation pourrait résulter d’une interprétation hésitante de la pièce arabe stylisée représentant l’éléphant : deux protubérances pointues évoquent les défenses de l’animal dans le jeu arabe. Elles auraient été comprises par les Occidentaux comme la mitre cornue d’un évêque, ou bien comme le bonnet d’un bouffon. D’où le choix de deux figures différentes pour occidentaliser la pièce : le fou et l’évêque (utilisée essentiellement en Grande Bretagne, le fou s’appelant « bishop » mais également au Portugal). Cependant, on peut objecter à cette thèse que la pièce orientale qui évoquait le plus une mitre d’évêque était la tour. Il est possible également, que cette pièce ait une valeur symbolique particulière car se trouvant la plus proche du roi et de la reine.
Le jeu d’échecs va avoir souvent un rôle d’apparat, un signe de richesse pour les dignitaires,comme le jeu dit de Charlemagne représenté ci-dessous.
Au musée des médailles à Paris est en effet conservé un magnifique exemplaire de jeu médiéval : le jeu dit de Charlemagne. Ce n’est en réalité que la légende qui attribue ce jeu à Charlemagne (jeu qui selon la légende aurait été offert par le calife Haroun Al-Rachid). Ce jeu d’apparat date en en fait de la fin du 11ème siècle. Il provient d’Italie. Les pièces sont en ivoire et on y retrouve des traces de peinture rouge et de dorure.
Jeu dit de Charlemagne. Fin du XIème siècle (Musée des médailles, Paris).
Détail du jeu de Charlemagne : un cavalier
Le jeu « Lewis chessmen » 12ème siècle (British Museum)
Le jeu de Lewis dont on peut voir une image ci-dessus a été fabriqué probablement en Norvège entre 1150 et 1200, et a été retrouvé dans l’ile de Lewis au large de l’Ecosse. Les pièces sont en ivoire. On peut y observer les fous représentés comme des évêques. Les pièces sont assez grandes. Un échiquier qui s’adapterait à ces pièces mesurerait environ 80 cm de côté.
Echiquier dit de Saint-Louis (Musée du Louvre)
L’échiquier dit de saint Louis provient des collections royales mais comme pour le jeu de Charlemagne, il n’a jamais appartenu à Saint Louis. Cet échiquier a en effet été réalisé au XVe siècle. Il se trouvait dans l’inventaire des collections de Gabrielle d’Estrées (1573-1599) puis de celle des gemmes de Louis XIV . L’échiquier ayant perdu une pièce, Louis XVIII en fit don à son premier valet de chambre Thierry de Ville-d’Avray. Il fut très remanié au cours des siècles. Les pièces sont en cristal de roche et en quartz fumé. Les angles reposent sur des têtes d’anges joufflus et ailées en bronze doré du XVIIe siècle. Il témoigne que le jeu d’échecs est un objet de décoration et d’apparat.