Les origines : de l’Inde à l’Occident
Représentation type du jeu, ancestral, semblant hors du temps, le jeu d’échecs a une longue histoire.
Il fascine car il est à la fois de conception simple (quelques pièces en bois) et d’exécution complexe et riche en possibilités (une partie n’est jamais complètement identique à une autre).
La légende de Sissa, d’origine inconnue mais rapportée par de nombreux auteurs, notamment par l’auteur et voyageur arabe Al-Masudi (v 897 – 957 après JC) est bien connue. Il en existe plusieurs versions mais la conclusion est identique et montre bien la complexité possible du jeu d’échecs. Selon cette légende, les échecs auraient été inventés en Inde par le sage Sissa pour distraire son roi de son ennui. Séduit par ce jeu, représentation d’une petite bataille en miniature, le roi demande à Sissa de choisir lui-même sa récompense. L’inventeur souhaitant montrer la puissance du jeu demande juste un peu de blé. Simplement un grain de blé sur la première case de l’échiquier, deux sur la deuxième case, quatre sur la troisième, et ainsi de suite jusqu’à la soixante-quatrième case en doublant à chaque fois le nombre de grains. Cette demande semble bien modeste au souverain, mais le roi n’a jamais pu récompenser son inventeur : il lui aurait fallu non pas un sac, mais (2 puissance 64) – 1 soit 18 446 744 073 709 551 615 grains de blé ! En considérant qu’un grain de blé pèse en moyenne 50 mg, il aurait fallu 900 milliards de tonnes de blé !
Une autre légende a recours à la mythologie : Palamède, héros de L’Iliade et grand rival d’Ulysse, aurait inventé les échecs pour divertir l’armée grecque pendant le siège de Troie.
En dehors de ces légendes, l’origine exacte n’est pas connue avec précision mais les grandes lignes peuvent en être tracées à partir du sixième siècle de notre ère.
Le jeu aurait été inventé en Inde vers le sixième siècle sous le nom de « Chaturanga », le jeu des quatre rois ou selon une autre version plus probable des quatre divisions militaires que sont à l’époque la cavalerie, les fantassins (pions), les éléphants (qui deviendront les fous) et les chariots (qui deviendront les tours). Il existait vraisemblablement plusieurs versions dont une à quatre joueurs.
En Chine, le Xiangqi est un jeu très ancien toujours joué de nos jours. Ce jeu ressemble fortement aux échecs mais s’en distingue tout de même sur nombre de points : le plateau comporte des lignes (neuf verticales et dix horizontales) et non des cases, une rivière sépare les deux camps. Par contre, on retrouve un certain nombre de pièces et les notions de mat et de pat. Ce jeu a évolué au cours du temps.
Il est actuellement difficile d’affirmer avec certitude quels sont les liens exacts du Xianqi avec le Chaturanga.
Un jeu de Xianqi (jeu actuel)
Notons également le Shogi d’origine japonaise, le Changgi d’origine coréennne et le Makruk d’origine thaïlandaise qui sont des jeux qui se rapprochent également du jeu d’échecs.
Quant à la représentation figurant sur la tombe de la reine égyptienne Nefertari (XIIIème siècle avant JC), l’a figurant avec un jeu ressemblant à un jeu d’échecs, elle a pu prêter à confusion mais il s’agit en fait du jeu de Senet, souvent retrouvé dans les fouilles archéologiques égyptiennes.
Tombe de la reine Nefertari, épouse du pharaon Ramsès II
Jeu de Senet retouvé dans la tombe d’Amenhotep III (v 1410 – 1375 avant JC)
D’après certains auteurs, le « chaturunga » dériverait d’un jeu plus ancien d’origine persane, mais rien ne permet de l’affirmer avec certitude.
Quoiqu’il en soit, après l’inde, le jeu est connu ensuite en Perse où il prend le nom de « chatrang ».
Plusieurs textes d’origine persane font mention du jeu :
Le Kârnâmag î Ardashiîr î Babagân (le livre des actes d’Ardashir fils de Babag)
C’est un manuscrit perse très ancien qui date probablement de la fin de la période Sassanide (600 – 650 après JC) et qui décrit les faits et gestes d’un prince. Le chatrang est mentionné parmi d’autres occupations du prince comme le polo, l’équitation.
L’arrivée du jeu d’échecs en perse fait l’objet d’une nouvelle légende, relatée dans un document dont la date est controversée mais pourrait se située au début du VIIème siècle :
Wizârišn î chatrang ud nihišm î nêw-ardaxšîr
(explication des échecs et invention du Nard)
Le texte raconte comment le jeu serait parvenu en Perse. Le roi indien Divsaram, envoya son vizir, à Khosrau I (appelé aussi Chosroes I ou encore Anushirvan), shah de Perse (531 – 579) avec le jeu composé de seize pièces en diamants et de seize pièces en rubis rouge, accompagné de nombreux présents : 90 éléphants et 1200 chameaux chargés d’or, d’argent, de joyaux, de perles et de vêtements. Un défi accompagnait cette caravane : « Comme ton nom est Roi des Rois, ton emprise sur nous signifie que tes sages sont plus sages que les notres. Soit tu découvres les secrets de ce jeu, soit tu nous paies un tribut en retour ». Anushirwan demanda quatre jours pour résoudre l’énigme. Le troisième jour, Vazorgmitro se leva et dit à son roi : « Oh Immortel, si j’ai gardé le silence jusqu’à ce jour, c’est que je voulais que tous sachent que je suis le plus sage de tous les hommes de ce pays. Je vais expliquer le Chatrang, t’assurer les présents de Divarsam et lui préparer une autre énigme qu’il ne sera pas capable de trouver et je doublerais le montant du tribu ». Le jour suivant, Vazorgmitro fit appeler l’envoyé du roi indien et dit : «Divsaram a fait ce jeu comme la guerre. Il y a deux généraux comme des rois, le farzin pour représenter le chef des guerriers, l’éléphant qui représente le chef des protecteurs du roi, le cavalier qui représente le chef de la cavalerie et les pions qui représentent les fantassins qui mènent la bataille ». Après ceci, Vazorgmitro joua trois fois avec le vizir et le battis trois fois. Une grande joie s’installa dans tout le pays. Le jour suivant, Vazorgmitro présenta au roi le jeu de son invention, qui’il appela Vin-Artakhshir, en hommage au roi Ardashir I. Je ferais un échiquier représentant la terre, 15 pièces noires figurant 15 nuits et 15 pièces blanches figurant 15 jours, le mouvement de l’échiquier sera comme le mouvement des astres dans le ciel, je ferais figurer l’esprit et la matière, je ferais figurer les quatre éléments qui forment l’homme et les quatre points cardinaux. A la tête d’une caravane constituée de 12000 chevaux couverts d’or de de perles, 12000 jeunes hommes, 12000 armures, partit alors pour l’Inde. Lorsqu’il vit le jeu, Divsaram demanda 40 jours pour résoudre l’énigme, mais personne ne put deviner les règles du jeu. Vazorgmitro revint dans son pays, couvert d’honneurs et de présents. Le jeu inventé figurerait l’ancêtre du Backgammon.
Représentation de la légende de la présentation du jeu d’échecs par les indiens en Perse
Les arabes conquièrent l’empire persan vers le milieu du VIIème siècle et vont assimiler le jeu en l’appelant « shatransh ». Le jeu est ensuite introduit en occident par leur intermédiaire, en Espagne, en Italie, aux alentours du 10ème siècle. Le plus ancien jeu occidental connu a été retrouvé en Espagne.
Le jeu est introduit en France à la fin du dixième siècle. Parallèlement, il est diffusé par les voies commerciales en Russie et en Scandinavie.
Le rôle des vikings est probable dans la diffusion vers le nord. Le jeu est introduit en Angleterre par la Scandinavie.
Le nom actuel viendrait du perse « shāh » qui signifie roi. Le terme « échec et mat » viendrait du terme arabe sheikh elmet : le roi est mort (plus précisément le roi est paralysé).
Au cours du moyen-âge, le jeu continuera à se développer dans le monde arabe où plusieurs traités seront publiés au cours des 9ème et 10èmes siècles. En 840 est notamment publié le premier traité échiquéen arabe rédigé par Al Adli (kitab ash-shatranj, le livre des échecs)(800-870) .
Vers l’ an 940, un joueur devient le premier grand champion de l’histoire : il s’agit d’As Suli, alias Al Suli (854 – 946). Il écrivit deux traités, actuellement disparus mais décrits dans des documents ultérieurs.
En 847 le calife Haroun Al-Rachid, organise le premier tournoi d’échecs de l’histoire, rassemblant les meilleurs joueurs islamiques.
Le Versus de Schachis (en latin) est un poème de 98 vers se trouvant dans le manuscrit d’Einsiedeln en Suisse (conservé dans l’abbaye d’Einsiedeln, situé au sud de Zurich).
Gravure représentant Meinradgr, premier moine du site de l’abbaye d’Einsiedeln
www.kloster-einsiedeln.ch/neu/fs_franzoesisch.htm
Il daterait de la fin du 10ème siècle, constituant ainsi le premier texte européen connu évoquant le jeu d’Échecs. Il y est fait mention pour la première fois de deux couleurs à l’échiquier, bien que n’étant pas encore utilisée de façon généralisée. Les pièces sont décrites ainsi que leur mouvement. Pour la première fois, le reine apparait avec le nom « Regina » en remplacement du terme ancien « alferza ».On y note également la promotion du pion mais à la condition que la dame ait été perdue au cours du jeu. On suppose que les échecs sont parvenus en Suisse via l’italie.
A peu près à la même période, plusieurs documents espagnols ont été retrouvés portant mention du jeu d’échecs, le plus ancien étant un testament datant de 1008.